Dans la chaleureuse brasserie qui donne sur le port de Monaco, M. Letartre vous fait un accueil des plus lumineux. Il est ce qu’on appelle un homme élégant. Toujours bien mis, il est souriant et sait recevoir. Après de longues années à la tête des laboratoires Anios, il quitte en 2019 l’entreprise familiale alors spécialisée dans les désinfectants pour lieux médicaux. Et malgré un retour dans cet univers en 2022 pour la production de gels hydroalcooliques, il s’oriente vers une carrière bien différente, dès la fin des années 90. C’est en 1998 en effet qu’il achète le domaine viticole, le Domaine de la Rouillère à Gassin. Chef d’entreprise averti, il comprend très vite comment redonner vie à cette terre prolifique dont il réaménage tous les espaces. Secondé par son épouse, il reconstruit tout et crée un vin fort apprécié en blanc, rouge et rosé. Une nouvelle passion pour la vigne et toujours cet amour pour la convivialité. Car lorsqu’on veut faire des affaires, il faut savoir bien boire et bien manger. Aussi, de nombreux événements y sont organisés pour recevoir des convives de toute sorte.

Une façon d’entamer une nouvelle aventure dans la restauration. En prenant part au groupe de restauration et hôtellerie Annie Famose, il se retrouve à la tête d’établissements déjà de renom à St Tropez, Megève, Courchevel, St Barth, Dubaï et Paris. Une manière de satisfaire cet amoureux de nouveaux challenges et de projets enthousiasmants. Le fil conducteur : avoir un restaurant prés de son lieu d’habitation. Installé depuis 2019 à Monaco, il décide donc de gérer un restaurant monégasque. L’opportunité se présente de reprendre l’un des lieux les plus emblématiques de la Principauté : le Quai des Artistes. S’ensuivent alors de très nombreux travaux pour refaire la salle, les cuisines et le bar extérieur. Un renouveau mais en conservant les points forts de l’existant. Pour cela, la décoration comme la carte seront fidèles à celles d’une brasserie. Un lieu où les Monégasques, résidants et professionnels locaux, aiment s’arrêter simplement, de façon improvisée ou non, pour déguster toutes les spécialités régionales françaises.

Il décide avec le chef, d’une carte copieuse, à prix abordable, pour le midi et le soir. L’exigence sur la qualité des produits est absolue, de même que celle du service qui doit rester constante tout au long de l’année. En cuisine une brigade au complet : un chef et son second, deux pâtissiers (qui font tout maison) et les fidèles en salle. Il a pour cela conservé l’essentiel de l’équipe des « anciens », qui connaissent le lieu, les clients et leurs habitudes. Il faut dire que le restaurant est ouvert tous les jours de l’année, à l’exception du 24 décembre au soir. Le personnel est toujours sur le pont, et Bertrand Letartre ne manque jamais une occasion de venir vous saluer. Il n’est pas étonnant de le voir parfois attablé avec des clients pour entamer une discussion ou partager un verre d’un des nombreux breuvages qu’offre la carte. Car si au Quai des Artistes on mange bien, on peut également y déguster des vins très accessibles et de grande qualité.

Dans l’assiette comme en salle, l’idée est de profiter. A la façon des artistes qui y trainaient jadis, adopter une attitude détendue, presque un peu bohême. Si le temps est précieux… il n’y est pas compté. Et si la journée ne doit pas s’arrêter, il faut passer la terrasse et aller sur la partie Bar des Artistes. Car en bon gestionnaire de l’humain, Bertrand Letartre sait qu’il y a un temps pour tout et un lieu pour tous. Au bar, la musique est donc plus prononcée et la carte des cocktails moins classiques. Ce qui ne signifie pas plus exotique. En effet les produits locaux sont toujours privilégiés : whisky mûri en fût de Sauterne et de St Julien, Vodka aux pépins de raisin fabriquée en Provence ou encore Gin de Provence.

Comme à la direction d’un ancien théâtre dont on affectionne le lieu, Bertrand Letartre dirige le Quai des Artistes de façon traditionnelle mais en y jouant des pièces toujours nouvelles, avec des performances sans cesse renouvelées. Une dimension artistique encore peu développée mais qui ne saurait faire partie des nouveaux challenges de cet amoureux de la nouveauté.

Lors de la reprise de l’établissement, le nouveau propriétaire du Quai des Artistes a souhaité avant tout en conserver la particularité culinaire : la table brasserie. Pour cela il fallait un chef à la hauteur de l’enjeu. Travaillant déjà dans d’autres établissements du groupe de Bertrand Letartre, c’est au chef Etienne Barrier qu’a incombé cette heureuse tâche. Un chef dont les nombreuses expériences ont forgé une vision extrêmement complète de son métier. De Honfleur à Paris il a rapidement gravi les échelons de sa profession sous la houlette de chefs étoilés. Après une première expérience en France où il apprend les incontournables de la cuisine française, il part pendant trois ans au Japon où il partage avec le chef nippon les traditions culinaires respectives. Puis de retour en Europe pour des raisons familiales, il prend le poste de chef adjoint au Beau Rivage en Suisse. Après un passage à la ferme Saint-Amour à Megève, il participe à l’ouverture d’établissements à St Barth, Biarritz, Courchevel et St Tropez. Puis c’est à Monaco qu’il finit par larguer les amarres, et pas sur n’importe quel quai, au Quai des Artistes.

L’enjeu, créer une cuisine brasserie telle qui n’en existe pas d’autre en Principauté. D’abord la variété des mets correspondant à toutes les régions de France. Des spécialités de viandes et de poissons, qui se distinguent par la qualité des produits mais aussi par leur préparation. Les cuissons et surtout toutes les sauces concoctées maison. Recréer des goûts et des odeurs qui nous rappellent des souvenirs d’enfance, tels que ceux qu’on se trimballe toute une vie depuis la maison de maman ou les vacances chez mamie. Les plats mais aussi les desserts qu’on ne retrouve plus dans aucune carte : les crêpes suzettes ou l’omelette norvégienne, flambées devant le client.

Car tout doit être un festin. On vient au Quai des Artistes pour manger aussi avec les yeux. On participe à un spectacle culinaire où on est à la fois acteur et spectateur. Un goût donc pour la tradition mais avec une touche permanente de modernité. Ainsi les cuissons ont été revisitées selon les techniques modernes afin d’optimiser les résultats tout en conservant les saveurs. De même, les grands classiques sont revisités. Il est donc possible de déguster en fin de repas une délicieuse Pavolva avec des fruits différents selon les saisons : fruits rouges, clémentines, fruits exotiques et même marrons. L’idée, maintenir les classiques tout en continuant à surprendre.

Le chef aime partager avec son équipe et avec les clients. En artiste culinaire, assurer la performance, de la sélection des produits jusqu’à la dégustation du plat.

C’est en 2003 qu’Ezio Lugano commence son aventure au Quai des Artistes. A l’époque, le quai continue une mue qui avait commencé à la fin des années 90, période à laquelle la Principauté décida de donner une nouvelle vie à un espace alors destiné aux industries. L’installation des ateliers d’artistes à quelques pas de là, annonçait déjà cette renaissance à laquelle le restaurant au nom désormais célèbre, allait participer. Dès le début, la volonté était d’en faire un restaurant à l’image des grandes brasseries parisiennes avec des codes identiques dans la cuisine, le service et l’environnement. A l’exception des grands hôtels, les établissements de bouche ne proposaient pas de cuisine de ce type et Ezio se souvient de cette originalité : l’élégance de la décoration, les plats type brasserie et le fameux banc de l’écailler.

Une différence qui a perduré au fil des années et qui justifie la présence récurrente et régulière de clients fidèles. Responsable de la clientèle, Ezio accueille depuis plus de deux décennies des familles dont il connaît une génération entière. Il se souvient avec émotion de certaines têtes blondes auxquelles il a jadis apporté une feuille blanche et des crayons de couleur qui désormais reviennent en couple, parfois avec leurs enfants, et souvent avec leurs parents et grands-parents. Car le Quai des Artistes c’est aussi une brasserie où vient déjeuner le midi entre deux rendez-vous, ou le dimanche en famille. Certains jours, il n’y a pas une table où Ezio ne reconnaisse les convives. Ces derniers viennent et reviennent pour la carte, sur laquelle ils choisissent parfois, depuis des années, toujours le même plat. Ils viennent aussi parce qu’ils sont connus et reconnus. Ezio connaît le nom de chacun d’eux, se souvient des études entreprises par les plus grands et du dessert préféré des plus petits.

Les temps ont changé, la décoration aussi mais l’âme est restée. Ezio aime à rappeler que la particularité du Quai des Artistes depuis sa création demeure son identité unique. La cuisine traditionnelle, la présentation des plats et la fidélité de l’équipe qui entretient l’héritage de l’établissement. Il y demeure le passage du temps mais aussi une certaine intemporalité. Celle que les artistes savent imprimer dans leurs œuvres qui ne meurent jamais. A ce titre Ezio se souvient du temps où les peintres venaient accrocher leurs toiles et occasionnaient ainsi des débats entre le personnel de salle et les clients. Une animation qui ne manquait pas d’ancrer davantage la particularité de la maison où la constance du service et de la table se mariait avec l’originalité et la diversité artistique. Une cohabitation avec les artistes qu’il se réjouit déjà de revivre avec la nouvelle programmation artistique prévue dès le mois de septembre 2025.

Le Quai des Artistes ce sont ainsi des petites et des grandes histoires. Des anecdotes qu’il est parfois possible d’obtenir d’Ezio dont la tenue et l’élégance, la discrétion et la confidentialité ne sont pas sans faire penser aux clés d’or des grands hôtels… mais façon brasserie.